Autriche | Vienne

29 octobre 2009 - « Archives et démocratie »

La présidente d’ASF-France, Christine Martinez, est intervenue à Vienne au nom conjoint d’ASF et de l’AAF, dans le cadre du colloque organisé au Parlement par la branche des archivistes des parlements et des partis politiques de l’ICA (SPP/ICA). Le thème de la journée « Archives et démocratie ».
2022-06-12T22:14:09Z

Naissance et centralisme des archives

« Dans les pays démocratiques, la science de l’association est la science- mère : le progrès de toutes les autres dépend des progrès de celle-là [1]. »

Exposer ce que représentent les archives des associations au sein du système archivistique français en ce début du troisième millénaire exige une rapide présentation de la particularité des Archives en France – ce réseau pyramidal et soudé qui vous est bien connu – ainsi que des vicissitudes de la législation sur les associations depuis 1789 ( qui ont eu des incidences sur la conservation de leurs archives).

Les Archives françaises sont filles de la Révolution. Certes, cela est vrai. Ce sont les trois textes fondamentaux : le décret du 7 septembre 1790 qui crée les Archives, la loi du 7 messidor an II qui les organise et les met à la disposition de tous les citoyens et la loi du 5 brumaire an V qui fonde les archives départementales.

Mais l’Histoire se construit par petites touches, avec des avancées et des reculs, dans un subtil jeu de va et vient. Ces bases jetées par la Révolution, c’est Napoléon qui va les asseoir. La Révolution française a construit la nation et créé l’unité du peuple français. Elle a déclaré que les Archives appartenaient à la nation. Principe fondamental :

« Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation »

(déclaration des droits de l’homme et du citoyen, art 3).

C’est cette notion qui justifie l’abolition des privilèges et la nuit du 4 août. Sans cette nuit du 4 août, il n’y aurait pas d’Archives….

Napoléon va s’efforcer, lui, de donner des bases nouvelles et pérennes à la nation. Héritier d’une civilisation latine, fondée sur l’écrit, il estime que l’écrit peut seul donner solidité et permanence à la nation. Les archives mobilisent son attention. A l’échelon central, à Paris, il les place sous son autorité directe et les rassemble en un lieu unique. Il crée les archives impériales – qui deviendront nationales – et les installe à l’Hôtel de Soubise. Il y fait rassembler les archives d’Ancien Régime, celles provenant du pouvoir royal constitutionnel, des comités révolutionnaires, etc.

Mais quelque part ce grand rassemblement des archives royales, des archives des anciennes cours souveraines, du contrôle général des finances, de l’Université et de l’Eglise, ces archives qui étaient éparpillées à Paris, avant 1789, dans plus de 400 dépôts, représente en un sens le couronnement d’une tradition, comme l’a bien montré Robert-Henri Bautier. En effet la monarchie française n’avait jamais tenté ce regroupement contrairement aux autres pays : Charles Quint, avait créé en 1545, le dépôt central des archives gouvernementales, l’Angleterre possédait, depuis 1578, le State Paper Office et Rome, depuis 1611, l’Archivium secretum vaticanum.

C’est l’adjonction à tous ces dépôts des archives des assemblées successives qui ont créé la France nouvelle et qui matérialisent le droit constitutionnel écrit qui donne aux Archives de France le caractère d’un mémorial sacré. L’idée sera évidente … sous la Monarchie de Juillet.

Les associations

Bénéfiques pour les archives ces années révolutionnaires et impériales. Et pour les associations ?

Il a existé de tous temps des groupements associatifs, libres et volontaires. Ils ont eu à défendre leur autonomie face aux tentatives d’assujetissement des pouvoirs publics. En France, l’état féodal puis monarchique a réprimé ces associations appelées confréries, charités, fraternités, ghildes, hanses, métiers, collèges, communautés, maîtrises et jurandes, les a mises peu à peu sous sa tutelle en leur octroyant des privilèges. Au XVIIIe siècle, il existe surtout des corporations rigides et fermées contre lesquelles l’Encyclopédie a la dent dure car elles sont « opposées au bien général » et au progrès.

Le mouvement associatif va, lui aussi, être marqué de façon indélébile par les principes du droit révolutionnaire, par la reconnaissance de cet homme nouveau que le 26 août 1789 présente dans la déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Cet exposé des droits naturels et individuels, des droits collectifs, des droits des gens, des citoyens et de la société est fondamental.

Mais cette reconnaissance avait déjà été proclamée par les 13 colonies britanniques d’Amérique du Nord dans la déclaration d’indépendance du 4 juillet 1776.

« Nous tenons pour évidentes pour elles-mêmes les vérités suivantes : tous les hommes sont créés égaux ; ils sont doués par le Créateur de certains droits inaliénables ; parmi ces droits se trouve la vie, la liberté et la recherche du bonheur ».

La Fayette et tous les militaires français qui se sont battus aux côtés des Insurgés connaissaient ce texte. La Fayette, pour qui, toute sa vie, la notion de liberté sera inséparable de celle de bonheur, sera un des inspirateurs de la déclaration française. Ironie de l’Histoire, la déclaration des droits de l’Homme, promulguée le 3 novembre 1789, sera la dernière ordonnance royale approuvée et acceptée par Louis XVI.

Dans son article 2 les droits « naturels » et imprescriptibles de l’homme sont énumérés. Parmi eux la liberté qui est définie dans de nombreux autres articles. La liberté d’association n’y est pas mentionnée. C’est une loi du 21 août 1791 qui la reconnaît :

« Les citoyens ont le droit de s’assembler paisiblement et de former entre eux des sociétés libres, à la charge d’observer les lois qui régissent tous les citoyens ».

En mars 1791, un décret abolira les anciennes jurandes, maîtrises et autres corporations au nom de la liberté du commerce. Le 14 juin 1791, la loi Le Chapelier interdit toute association ou coalition de travailleurs ou de patrons. Le droit d’association est donc surveillé et limité mais pas interdit. Comme l’a fort justement écrit Maurice Agulhon :

« Il n’y a pas de mouvement démocratique sans pratique de la réunion et de l’association ».

Assemblées de sections, clubs, sociétés patriotiques foisonnent. L’homme libre s’y initie aux règles de la vie associative et de la démocratie. Les clubs sont des écoles de la citoyenneté.

Le Directoire, puis l’Empire, régimes autoritaires, se méfient des sociétés politiques et le code pénal, en 1810, réglementera le droit d’association.

« Nulle association de plus de vingt personnes ne pourra se former qu’avec l’agrément du Gouvernement et sous les conditions qu’il plaira à l’autorité publique d’imposer à la Société »

(art. 291).

Cet article va traverser gouvernements et régimes jusqu’en 1901. Surveillées et encadrées les associations survivent, après autorisation préalable. Elles fleurissent en 1830 et 1848. Sous le Second Empire, sous l’Empire libéral, en juin 1868, le droit de réunion, sans droit d’association, est accordé « sur simple déclaration préalable signée de 7 personnes responsables ».

Archives et associations au XXe siècle

Et arrive la Troisième République qui voit selon Pierre Nora la « rencontre de la Nation et du système archivistique français » ainsi que la reconnaissance du libre contrat d’association.

Tout au long du XIXe siècle, ce « siècle de l’Histoire », les archives sont devenues le « laboratoire de l’Histoire ». Après la défaite de 1870, avec les difficiles débuts de la Troisième République, elles deviennent le « sanctuaire de l’Histoire ». Selon les paroles célèbres de Michelet, les Archives (nationales) dont la porte monumentale « donne accès au parvis sacré de l’Histoire » forment « l’arche sainte de l’histoire de la patrie ».

Les associations, elles, continuent à survivre et obtiennent un droit à l’existence par étapes. La loi du 21 mars 1884 proclame la liberté syndicale et établit le droit d’association syndicale sur la base des principes républicains. La loi du 19 avril 1898, considérée comme la « charte de la mutualité » affranchit les mutuelles du régime de liberté surveillée et organise la retraite et l’assurance des ouvriers. Le 1er juillet 1901, enfin, est votée la loi relative au contrat d’association. L’association est désormais considérée comme un contrat, comme relevant du droit privé, comme un contrat librement conclu entre citoyens.

L’essor de la vie associative de 1901 à 2001, année où l’on a fêté le centenaire de la loi, a été fantastique. Il existait en 2001 plus de 800 000 associations déclarées et on estimait qu’un Français sur deux était bénévole ou adhérait à une association. Le choix en faveur de la liberté d’association a été repris par l’article II de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales qui protège explicitement le droit à la liberté d’association. Le succès de cette loi peut s’expliquer par le fait qu’on y retrouve toutes les grandes croyances républicaines : foi dans le progrès, reconnaissance de la souveraineté du peuple et de la nation, croyance dans les bienfaits de toutes les libertés d’expression.

Toutes ces associations ont produit et produisent chaque jour quantité d’archives : procès-verbaux des assemblées, élections, comptabilité, cotisations, statuts, correspondances, etc. Le système archivistique mis en place en France n’avait rien prévu pour la conservation de ces documents. Les archives nationales, ce n’était que les archives centrales de l’Etat, sacralisées à partir des papiers de l’Assemblée constituante. Très lentement, au cours du XIXe siècle, les historiens prennent conscience de l’importance des archives privées pour l’histoire, essentiellement par le biais des chartriers. Ils attirent l’attention des propriétaires et des archivistes sur les devoirs de conservation et de communication de ce qu’on appelle toujours dans le jargon du métier « les entrées par voie extraordinaire ».

La notion d’archives évolue, les archives privées sont peu à peu protégées, reconnues. Charles Braibant, directeur général des Archives de France aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, met en place une véritable politique de protection des archives privées à partir de 1949. C’est un jeune conservateur qui travaille à ses côtés de 1949 à 1958, Bertrand Gille, mort en 1980, qui va s’intéresser aux archives d’entreprises et aux archives associatives. Il expose à maintes reprises l’intérêt historique des archives associatives, par exemple dans le Manuel d’archivistique ( 1970). Il regrette le total oubli qu’on leur a manifesté jusqu’alors et montre qu’elles sont le reflet, de façon très précise, des grands mouvements de la pensée.

Bertrand Gille a eu, et aura encore, de nombreux successeurs, des élèves et des admirateurs. Nombreuses sont aujourd’hui les archives d’associations conservées aux Archives nationales, mais aussi dans les archives départementales et communales. Les archives nationales du monde du travail conservent et mettent en valeur de magnifiques fonds associatifs. Dans un ouvrage de grande qualité, collectif et grand public, édité en 2008, « Usine à mémoire » , Françoise Bosman, la directrice du centre de Roubaix, s’insurge contre ce qu’elle appelle joliment « l’inégalité de la mémoire » :

« Sous les réalités institutionnelles, il faut rechercher les expériences personnelles à l’échelle humaine et aller recueillir ce qui est absent dans les archives publiques » .

Cette collecte des archives associatives est aidée en France par l’exceptionnel réseau des Archives qui constitue un maillage du territoire organisé depuis le XIXe siècle et qui perdure après un quart de siècle de décentralisation.

Collaborations et partenariats aujourd’hui

Les archives jouent aujourd’hui un rôle central au cœur de la mémoire contemporaine. Elles en sont l’image matérielle. Le besoin d’archives est aujourd’hui global et couvre tous les aspects de la vie. Le rôle des archives associatives, dans cette démarche, est de venir compléter les archives publiques des administrations nationales et territoriales. Les archives aujourd’hui inscrites au cœur des préoccupations permettent de retrouver identité individuelle et collective. Elles sont la preuve d’un fait ou d’un droit.

Or, en 2009, l’homme, citoyen du monde, prend conscience du fait que les XIXe et XXe siècles ont abandonné, comme une écume, des papiers, des documents, un peu partout. La mondialisation, dans ce cas, a commencé très tôt.

Dès le XIXe siècle, par exemple, des sociétés françaises ont construit ponts, routes et chemins de fer dans tous les pays, même les plus lointains, puis y ont laissé, leur tâche achevée, des archives dites de gestion pour permettre de gérer, entretenir, réparer ces monuments du progrès. Il n’a choqué personne semble-t-il de laisser, alors, sur place des documents que les populations autochtones, ne parlant pas le français, ne pouvaient ni comprendre, ni exploiter.

C’est à aider à leur meilleur conservation, à leur exploitation rationnelle et cartésienne que des associations comme l’Association des archivistes français ou ASF – section France, s’emploient. Elles tentent également d’aider au sauvetage d’archives privées témoignant de toutes les atrocités du XXe siècle.

Ce travail, bien sûr, est mené en parfait partenariat avec la direction des archives de France. Là où l’Etat ne peut pas intervenir, une association le peut, parfois. Notre travail n’est pas concurrentiel, bien loin de là. Nos associations initient des actions de complémentarité citoyenne au service des personnes en parfait accord avec les représentants de l’Etat.

Comme l’a dit Jean Favier, directeur général des archives de France de 1976 à 1994 :

« L’homme garde ses archives par nécessité, par dignité aussi ».

[1A. de Tocqueville, De la démocratie en Amérique

 

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