La Compagnie de chemin de fer djibouto-éthiopienne

2013-03-07T13:26:02Z

Le 11 février 1893, Alfred Ilg, ingénieur suisse, obtient de l’empereur d’Abyssinie Ménélik II la concession de la construction de tous les chemins de fer dans ce pays. Le 9 mars 1894, il fonde la Compagnie Impériale d’Éthiopie pour la construction d’un chemin de fer Djibouti-Harar Addis-Nil Blanc. Le 7 août 1896, elle devient la Compagnie Impériale des Chemins de fer Éthiopiens. Malgré de médiocres moyens financiers, les travaux débutent en octobre 1897 avec les entrepreneurs Duparchy et Vigouroux. Les difficultés financières s’ajoutent aux difficultés naturelles. La ligne s’arrête à Dire Dawa (km 309, 1206 m d’altitude), le 24 décembre 1902, Harar étant jugé impossible à atteindre à cause de l’escarpement, et compte tenu des moyens qui restent à la compagnie. En mai 1904, s’engagent à Londres des négociations anglo-francoitaliennes. Elles aboutissent à la signature, le 6 juillet 1906, de « I’Accord Tripartite » : le statu quo politique et territorial de l’Éthiopie est maintenu, un accord pour qu’une compagnie française continue la ligne jusqu’à Addis-Abeba était signé, mais la France renonce à toute extension vers le Nil. Cet accord permet la poursuite de la construction de la ligne. La C. I. E. dépose son bilan le 6 juin 1907. Le gouvernement met tout en oeuvre pour qu’une société française prenne la succession. Le 15 mai 1909, naît la Compagnie du Chemin de Fer Franco-Éthiopien de Djibouti à Addis-Abeba, plus connue sous son sigle C.F.E. Elle bénéficie de la garantie de l’Etat français et peut ainsi réunir les capitaux nécessaires à l’achèvement de l’oeuvre interrompue depuis six ans. La Première Guerre mondiale désorganise cependant les cadres et le personnel, ralentit les livraisons du matériel, augmente les prix. Le 31 janvier 1914, l’Awash est franchi. Addis-Abeba est atteinte en 1915 (km 783,256, altitude 2348 mètres), et la ligne ouverte officiellement au commerce le 7 juin 1917. Malgré des conditions d’exploitation difficiles et onéreuses, la Compagnie du Chemin de Fer rembourse, depuis 1924, le capital avancé au titre de la garantie et les intérêts, sert de meilleurs dividendes à ses actionnaires. Elle augmente ses réserves, améliore son parc roulant et construit la gare d’Addis-Abeba. Le français constitue la langue véhiculaire des employés des chemins de fer djibouto-éthiopiens. La compagnie et ses employés contribuent à créer une forte communauté francophone parmi ses 3 employés et a joué un rôle important dans la présence française avec la création des deux Alliance française d’Addis Abeba et Dire Dawa. Malgré l’occupation italienne, la Compagnie reste exploitée jusqu’en juin 1940. Après la défaite italienne en 1941, l’exploitation est reprise par l’administration militaire britannique. Ce n’est qu’en mai 1946 que les Britanniques remettent l’administration du chemin de fer à la compagnie. Le chemin de fer est alors remis en ordre. En 1959, suite au traité franco-éthiopien d’Addis Abeba, la compagnie est éthiopianisée et le siège social est transféré à Addis Abeba. La France et l’Ethiopie détiennnent chacune 50 % du capital. Contrairement au gouvernement éthiopien, le gouvernement français ne détient plus dans les années 1970 que 25 % du capital, les 25 % restant étant entre les mains de sociétés françaises, notamment Paribas et la BNP.

La Compagnie depuis l’indépendance de Djibouti

En 1977, lors de l’indépendance de Djibouti, les actions détenues par les sociétés et le gouvernement français sont transférées au gouvernement djiboutien. Les difficultés se multiplient alors, entraînant un déclin rapide de la Compagnie : concurrence de la route construite par les Italiens entre Addis Abeba et le port érythréen d’Assab, matériel vieillissant, renversement d’Hailé Sélassié et arrivée au pouvoir en Ethiopie d’un régime marxisant, sabotages effectués lors de la guerre de l’Ogaden contre la Somalie, conflits intérieurs en Ethiopie, méfiance entre les gouvernements éthiopien et djiboutien, maintien de dettes à l’égard du gouvernement français (anciennes avances de trésorerie, paiement des retraites). Les deux tronçons nationaux évoluent séparément. En 1981 (traité du 21 mars), l’Ethiopie et Djibouti créent un établissement public bi-national à caractère industriel et commercial chargé de l’exploitation du chemin de fer éthio-djiboutien. Le siège social de la Compagnie est établi à Addis Abeba mais les statuts sont enregistrés dans les deux pays. Les années 1983-1988 sont marquées par une brève reprise, vite suivie d’une forte baisse. La Compagnie est dirigée par un Conseil d’administration bipartite. Selon l’article 5 des statuts, « Le Conseil d’Administration détient les pouvoirs exécutifs. Il délibère et décide sous réserve de l’Article 6 ci-dessous :

 Sur tous les projets d’investissements : à court, à moyen et à long terme.

 Sur les comptes prévisionnels d’exploitation et des opérations en capital et donne des directives pour sa mise en application.

 Sur toutes les questions ayant trait à la gestion de l’Etablissement.

 Sur la fixation du tableau des amortissements.

 Sur la passation des marchés, des contrats, des projets d’acquisition des immeubles ainsi que des conventions portant concessions d’ouvrage et des services.

 Sur les rapports qui lui sont transmis par les Contrôleurs et le Directeur Général et portant sur la gestion et la bonne marche de l’Etablissement. – Sur la fixation des tarifs des voyageurs et des marchandises eu égard à la rentabilité, à l’efficacité et au bon fonctionnement de l’Etablissement.

 Sur les modalités de recrutement, de la fixation de rémunération de base et les conditions d’avancement ainsi que le tableau des effectifs en tenant compte des ressources de l’Etablissement.

 La définition de l’organigramme des divers services de l’Etablissement. – Sur la création des ressources destinées à couvrir les charges de l’Etablissement.

 Sur les ressources disponibles, les programmes de fonctionnement et d’équipement à réaliser. » Un directeur général assisté d’un directeur général adjoint, est chargé de la gestion de la Compagnie. Le traité prévoit la répartition des tâches suivantes (article 2) : « Outre la Direction Générale les principales directions de l’Etablissement sont :
– La Direction administrative et financière installée à Addis-Abeba et ayant des services qui la représentent à Djibouti,
– La Direction du Personnel installée à Addis-Abeba et ayant des services qui la représentent à Djibouti.
– La Direction technique installée à Djibouti et ayant des services qui la représentent à Addis-Ababa.
– La Direction commerciale installée à Djibouti et ayant des services qui la représentent à Addis-Abeba. Les centres de formation de l’Etablissement seront fixés à Djibouti. L’atelier central reste fixé à Dire Dawa. Un rééquilibrage progressif des autres ateliers de réparations sera réalisé entre les deux Pays ». Malgré ce traité, la gestion de la Compagnie se dégrade progressivement, notamment en raison d’une organisation écartelée entre Addis Abeba et Djibouti et d’installations techniques vieillissantes. L’avenir du chemin de fer constitue pourtant un enjeu majeur pour l’Ethiopie, notamment après l’indépendance de l’Erythrée. Djibouti redevient alors le seul débouché commercial de l’Ethiopie et le chemin de fer retrouve tout son intérêt. Depuis 1991, des subventions ont été successivement accordées par les instances internationales de financement pour la rénovation de la compagnie. A titre d’exemple, on peut signaler que l’Agence française de développement a octroyé plusieurs subventions afin de permettre le rajeunissement du matériel. Le Fonds européen de développement, de son côté, a octroyé un financement de 40 millions d’€ afin de préparer la concession de la compagnie, permettant ainsi la rénovation des voies (environ 110 km sur les 781 que compte la ligne). Le programme indicatif régional 2002-2007 de l’Union européenne pour l’Afrique de l’Est et du Sud et l’Océan indien prévoit une modernisation du terminal de containers à Djibouti, des études pour la rénovation des ponts et du matériel et une aide à la concession de la compagnie.

Les changements actuels

En 2005, Djibouti et l’Ethiopie préparaient la concession de la société à une compagnie privée concessionnaire de droit éthiopien. L’objectif est de restaurer l’équilibre financier de la compagnie, d’assurer son développement et de répondre à la demande de transport à moyen et long terme. Les 27 et 28 mars 2006, c’est finalement la société sud-africaine COMAZAR qui a été choisie par le comité d’évaluation comme concessionnaire de la Compagnie pour une durée de 25 ans. Le capital de la future société, d’un montant de 12 M US $, devrait être souscrit, par COMAZAR et par des investisseurs privés des Emirats arabes unis et de Djibouti. D’autres groupes ont déjà décidé de prendre des participations dans le capital de la Compagnie. Des négociations entre COMAZAR et un comité d’experts doivent être entamées rapidement.

Un patrimoine français en Afrique

Le rôle économique et politique de la compagnie

La coopération avec la France débuta véritablement avec le traité d’amitié et de commerce du 7 juin 1843 signé entre le roi du Choa et Louis-Philippe 1er, Roi des Français. En 1897, le premier Ambassadeur de France est désigné et une Convention d’amitié et de reconnaissance entre la France et l’Ethiopie, qui prévoit notamment la libre utilisation du port français de Djibouti est signé. Cela marqua le début officiel des relations diplomatiques francoéthiopiennes. La ville de Dire Dawa a été fondée en 1902 autour de la gare du chemin de fer venu de Djibouti. Elle abritait les ateliers ferroviaires, les usines et les maisons de commerce. Grâce au passage du chemin de fer, le trafic commercial a été en partie détourné de Harar, qui demeurait la capitale religieuse de la région, au profit de Dire Dawa. La « ville du chemin de fer » connut d’ailleurs un essor si rapide que sa population dépassa celle d’Harar. L’arrivée du chemin de fer permit un développement commercial rapide de la province qui servit de base à la conquête du pouvoir (1916-1930) du futur empereur Hailé Sélaissé. Le chemin de fer arriva à AddisAbeba en 1917 et créa une nouvelle offre de transports, notamment pour les produits de l’agriculture et de l’élevage et permit à de nombreuses régions et villes d’être atteintes par les caravanes de la capitale. Alain Gascon dans La Grande Ethiopie, une utopie africaine, CNRS Editions, Paris, 1995, qualifie le chemin de fer de « cordon ombilical vers le marché international » (p. 96). Il ajoute « Le réseau des communications ressemblait à un arbre dont l’axe ferroviaire serait le tronc » (p. 156). Enfin, le chemin de fer constitue l’unique débouché commercial de l’Ethiopie sur la mer Rouge. Les archives de la compagnie de chemin de fer éclairent le rôle de la France à travers le chemin de fer dans cette période cruciale de l’histoire éthiopienne, tant du point de vue commercial que politique.

L’enseignement du français et la compagnie

En octobre 1907, les frères de Saint Gabriel (congrégation française catholique vouée à l’enseignement et dont la maison mère se trouve en Vendée) arrivèrent à Addis Abeba afin d’y créer la première école francoéthiopienne. Les premiers cours débutèrent dès novembre 1907. L’année suivante, une autre école française ouvrit ses portes à Dire Dawa. En 1912, la Compagnie du Chemin de Fer Franco-Ethiopien participa au rattachement d’une section professionnelle de formation des cheminots à cette école. Le 24 août 1911, grâce en partie à un don de 5 000 francs de l’ambassadeur de France de l’époque, et aux 2 000 thalers offerts par la Compagnie du Chemin de Fer Franco-Ethiopien, un terrain d’un hectare fut acquis par l’Alliance française d’Addis Abeba qui entreprit alors des travaux de construction. En avril 1912, deux enseignants et une centaine d’élèves s’installent. Le 8 décembre 1912, est inaugurée officiellement l’Ecole Franco-Ethiopienne. En 1937, refusant l’ingérence des italiens, l’Alliance Franco-Ethiopienne est fermée. Ce n’est qu’à la libération de l’Ethiopie en 1943, que des laïcs français décideront de rouvrir les portes de cette institution. En 1947, est signé un Accord par échange de lettres relatif à la création d’un établissement d’enseignement secondaire franco-ethiopien à Addis-Abeba. Le lycée Guebre Mariam est ainsi créé. Il se situe sur Churchill road, anciennement « Avenue de la gare », à quelques centaines de mètres de la gare d’Addis Abeba. Le tronçon entre ses deux établissements et le quartier de la Gare deviennent alors l’axe francophone de la capitale éthiopienne. L’histoire du chemin de fer et de l’enseignement de la langue française ainsi que de la présence française en Ethiopie sont donc intrinsèquement liés. Les cheminots de la compagnie utilisent le français, qu’ils ont appris au lycée ou dans les Alliances françaises, comme langue de travail. Cela explique pourquoi les archives sont en français jusqu’en 1972.

Un patrimoine industriel français en Ethiopie

Le développement et la modernisation de la ville d’Addis Abeba, fondé en 1887, est lié à l’arrivée du chemin de fer. Le quartier de la Gare abritait les logements des employés de la compagnie. Les quartiers des personnels dirigeants ont été aménagés selon des schémas français et leur architecture est facilement identifiable comme telle. En outre, le bâtiment actuel de la gare, dont la construction a débuté en 1927 et s’est achevée en 1929, a été élaboré selon les plans de l’architecte français Paul Barrias et à le voir, il ne fait aucun doute que c’est une gare française, tout comme celle de Dire Dawa ! Il a d’ailleurs été classé et doit faire l’objet d’un programme de rénovation. Les chercheurs ayant travaillé jusqu’alors sur la gare et la compagnie du chemin de fer ont pu constater les lacunes existant dans les archives relatives à ces sujets. Et pour cause, celles-ci sont encore conservées dans de très mauvaises conditions à Addis Abeba, et probablement à Dire Diwa. Ces documents sont d’une importance capitale à la mise en valeur de ce patrimoine architectural et industriel franco-éthiopien. La réhabilitation des chemins de fer avec l’aide de la communauté internationale et du secteur privé constitue actuellement un défi majeur pour les Africains, la recherche d’un désenclavement économique (Chemin de fer Congo-Océan, chemin de fer Côte d’Ivoire-Burkina Faso). Une telle action ne peut se faire sans préserver la mémoire de ces compagnies et lignes ferroviaires.

Source : Compte-rendu de mission, août 2006



 

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