Réveil très matinal pour nos deux archivistes, vers 6h30. La chaleur étouffante qui règne depuis quelques jours sur Djibouti empêche en effet de travailler dans l’après-midi. L’activité en ville en est le témoignage le plus visible : à partir de 14h, les rues se vident et ne restent autour de la place Ménélik que quelques habitants cherchant le repos et la fraîcheur, allongés sur des paillasses sous les arcades coloniales.
Après un rapide déjeuner au cercle mixte de garnison, nous partons à la gare où rendez-vous a été fixé avec M. Youssouf, directeur du personnel. Nous commençons la matinée par un tour des installations ferroviaires. Après avoir traversé les voies d’où est parti la veille vers 23h30 un convoi tracté par une locomotive poussive (qui se trouvait d’ailleurs en panne à 30 km de là ce matin), nous marchons en direction des entrepôts et hangars techniques. Pour l’instant, pas d’archives en vue, mais du matériel de maintenance, entretenus tant bien que mal en raison des problèmes budgétaires.

Le premier témoignage écrit du patrimoine du chemin de fer, nous le trouvons dans la cabine du conducteur de la locomotive 005 : c’est un registre contenant notamment les bons de voie libre permettant à chaque arrêt au cheminot de reprendre sa route. Un peu plus loin, un hangar en bois attire notre attention : derrière les planches on peut apercevoir des ballots de riz dont le contenu ne fait aucun doute. Ce sont bien là des archives, amassées là par manque de place. Seulement, impossible pour l’instant de visiter car le hangar est fermé et notre hôte n’en a pas la clé.
Nous retournons donc dans le bâtiment principal et nous nous livrons à un premier examen rapide des archives qui y sont conservées. Grâce à la disponibilité de M. Youssouf, nous parvenons à avoir un aperçu quasi-complet de la masse documentaire qui y est entreposée. Des photos sont systématiquement prises, un plan du premier étage où nous nous trouvons est levé et un métrage approximatif est établi. Outre les armoires devant le bureau du directeur (qui contiennent le courrier arrivé, les P.V. du conseil d’administration de la compagnie, des notes, télégrammes, la situation du matériel), une pièce est entièrement dédiée aux archives techniques (études, dossiers d’incidents, gestion de l’exploitation…). Une autre pièce contient des dossiers individuels de personnel, pouvant remonter aux années 40, et d’autres archives ayant trait à la gestion des ressources humaines (relations avec le syndicat, accidents du travail…). Les autres bureaux révèleront des archives en rapport avec le service commercial, des statistiques : en tout, environ 80 mètres linéaires d’archives, dont les plus anciennes ne semblent pas remonter au-delà des années 40.
Le directeur, M. Khamil, nous rejoint sur place et se montre intéressé par les documents que nous pouvons lui montrer : il ne doute pas un instant de l’intérêt patrimonial de ce fonds et nous accompagne donc vers les magasins et dépôts situés de l’autre côté des voies, les clés ayant été retrouvées entre-temps. Cependant n’échappe pas à notre sagacité la présence de portes fermées au rez-de-chaussée d’où semble partir un escalier menant aux combles (M. Youssouf nous raconte d’ailleurs à cette occasions les légendes diverses circulant sur cet endroit, et notamment la présence d’un serpent gigantesque qui y aurait élu domicile). De même, un soupirail laisse entrevoir une pièce qui semble contenir des documents et sur laquelle nous reviendrons, notre première tentative pour ouvrir la trappe s’étant soldé par un échec.
Continuant notre visite prospective, après avoir traversé des hangars fantômes où des rayonnages supportent des caisses de boulons rouillés par les années, nous pouvons au passage examiner quelques armoires concernant la gestion des stocks, ou encore un fichier des entrées et sorties de matériel. De retour devant le hangar en bois, la bonne clé est enfin trouvée et ce sont au bas mot 12 m3 de vrac, dans des caisses en bois et des sacs de riz, qui se révèlent devant nos yeux rougis (non par l’émotion, mais bien plutôt par la poussière) et néanmoins ravis. Des documents de gestion technique, comme des plans, mais aussi de personnel peuvent être discernés au milieu de l’effroyable désordre qui règne ici, l’autre moitié du hangar servant de remise aux matelas et sommiers des employés.


Un dernier hangar, en pierre de taille et toit de tôle, relativement sec, offrirait sans doute une très belle salle de tri, comme le suggèrent d’ailleurs les rayonnages de bois tapissant toutes les parois de la pièce.
Enfin de retour au bâtiment principal, M. Youssouf nous laisse quelques moments pour discuter avec des collègues. Poussés par le démon de l’archivistique, nous ne pouvons résister au désir de soulever en une ultime tentative la trappe de bois desservant le sous-sol. Nous en avons raison et, très vite, nous descendons prudemment les marches que les 10 cm de crasse ont rendu périlleuses. Arrivés dans une pièce de 4 mètres sur 4, dans une atmosphère saturée par la poussière et les odeurs pestilentielles (le vasistas ayant visiblement servi d’urinoir pendant plusieurs années…), où reposent sur 50 cm d’épaisseur à même le sol des archives dans le désordre le plus complet. Sur les murs, 10 mètres linéaires environs de documents attirent en particulier notre attention : ce sont des archives anciennes, antérieures à la 2de Guerre Mondiale pour certaines, concernant tant les navires et le transbordement des marchandises arrivées par voie maritime que le personnel et la gestion logistique de la compagnie.

De retour à l’air libre, nous arrivons tout de même à refermer la trappe et à convenir d’un autre rendez-vous, pour nous confronter cette fois-ci au monstrueux serpent qui nous attend tapi dans les combles…